Chef spontané, honnête et franc, à l’image de sa cuisine, Steven Ramon s’est prêté au jeu de ma première interview et a répondu avec une grande générosité à mes questions sur ses goûts, ses souvenirs, sa cuisine, ses inspirations et ses aspirations.
Je vous propose de découvrir mon entretien avec ce chef passionné qui se souvient d’où il vient, profite du présent tout en remettant en question sa cuisine et en regardant droit devant !
Rencontre avec Steven Ramon,
chef du restaurant Rouge Barre à Lille
Parcours:
Scolarité : lycée hôtelier Michel Servet de Lille
Stages : Lapin à Z’os à Cysoing (stage de découverte en 3ème), Les Pyramides à Lys-les-Lannoy, Maison Ghysel à Louvil (en boucherie), poissonnerie Aux pêcheurs d’Etaples à Lille, restaurants Clément Marot et l’Esplanade à Lille, puis en 2004 le dernier stage à La Laiterie à Lambersart
Octobre 2004 : embauché comme commis à La Laiterie où il restera 9 ans
2006 : Le restaurant obtient l’étoile au Michelin. Le second part, il prend sa place.
2012 : Le chef Benoit Bernard quitte La Laiterie, Steven devient chef.
2013 : Départ de La Laiterie. Tournage de Top Chef pendant l’été. Visites de lieux pour ouvrir son propre restaurant.
2014 : diffusion de la saison 5 de Top Chef (Steven est éliminé en demi-finale). Juin: ouverture de son restaurant 'Rouge Barre'
Avez-vous un souvenir d’enfance lié à la cuisine ?
Pas forcément. A la maison il n’y a jamais eu de grands plats. Les classiques c’était ragoût de mouton, langue de bœuf, rouelle de porc, cabillaud entier au four: des grosses pièces. On faisait souvent aussi du filet américain à base de cheval, et puis des crêpes. Après les souvenirs c’est les rissoles qu’on a tout le temps faites à Noël. D’ailleurs on a toujours fait de belles tables à Noël !
Mais sinon à la maison il n'y a jamais eu de haricots frais, de petits pois, de fèves, on baignait pas du tout dans la culture bouffe. Le resto c’était Flunch à l’époque, vraiment !
Y’a-t-il un ingrédient ou un plat qui vous évoque systématiquement un souvenir précis ?
Oui, un produit qui m’a marqué c’est le maquereau. Parce que je l’ai toujours travaillé à La Laiterie*, et quand je l’ai eu en épreuve à 'Top Chef' j’étais tout de suite dingue et ça s’est confirmé puisque j’ai sorti un maquereau qui a beaucoup plu et qui a eu de très beaux compliments. Et puis c’est beau, c’est un produit local qu’on pêchait quand on était gamins au Cap Gris Nez avec la famille. On pêchait des bars, des maquereaux, quelques limandes, des soles, des crabes, des crevettes grises.
En cuisine, quelle saison préférez-vous ?
L’automne. En fait non, ça dépend. On est heureux de retrouver chaque saison. On ne fait pas du tout les mêmes plats l’été que l’hiver. Ce que je trouve intéressant l’hiver c’est d’alléger les plats lourds. Sinon j’attends avec impatience les morilles qui arrivent au mois d’Avril, je suis très content d’avoir la truffe l’hiver, les champignons toute l’année : mousserons, girolles, morilles, cèpes, morilles des sapins. Des champignons on en fait beaucoup au Rouge Barre.
Et l’automne parce que dans le Nord c’est une arrière-saison quasiment, donc les produits d’été du sud on les a presque en automne ici !
Quel geste aimez-vous le plus en cuisine ?
Lever un poisson. J’adore ça ! Ça vient de la Laiterie : on a brassé des quantités de poissons !
Mais ça aurait pu vous écœurer d’en faire autant ?
Non parce qu’au Rouge Barre je n’en lève pas le tout le temps, et du coup je prends mon pied à chaque fois que j’en lève ! Et j’essaie toujours de mieux le faire, mieux le faire, mieux le faire… Il y a 6 mois par exemple j’ai réalisé que je levais mal un cabillaud. A chaque fois j’oubliais une grosse partie derrière la joue qui fait au moins une portion.
On parle beaucoup des japonais et leur maîtrise du poisson, ils ne lèvent pas un poisson en 40 secondes. Ils prennent le temps de le faire bien comme il faut.
Quelle est votre table favorite à Lille ?
Je vais souvent au Gabbro chez Simon (Simon Pagès, chef du Gabbro).
J’aime bien aller au Mother manger un hamburger frites avec mes gamins… Ce qui est bien c’est qu'on peut arriver vers 18h30, à 20h on est à la maison et ils peuvent aller au lit. Le Pot Beaujolais aussi: leur petit salé aux lentilles est juste énorme ! Après malheureusement je ne connais pas tout !
Et dans la région ou plus loin, quels sont vos plus grands coups de cœur dans des restaurants?
Ça a fermé mais j’aimais beaucoup In De Wulf (chef Kobe Desramaults à Dranouter en Belgique).
Sinon j’ai eu 2 révélations au restaurant : pour un tout autre budget et plus loin Bon Bon**à Bruxelles. Si je dois conseiller un 2 étoiles Michelin, c’est celui là et aussi le restaurant SaQuaNa** à Honfleur.
J’adore ces restaurants qui arrivent à masquer l’énorme technique qu'il y a dans l’assiette par la simplicité comme chez Emmanuel Renaut à Megève (chef du restaurant Flocon De Sel***). Son gâteau de brochet est d’un moelleux et d'une finesse ! C’est juste parfait... magique ! Et pourtant dans son assiette il y a une soupe, un biscuit taillé comme un entremets, et une tuile rectangulaire : terminé ! Mais derrière il y a une énorme technicité et beaucoup de travail, et c’est vraiment ça que j’affectionne le plus !
J’ai encore beaucoup d’années devant moi donc je ne précipite pas les choses mais c’est ce à quoi j’aimerais arriver dans le futur, on a encore envie d’évoluer sur plein de trucs !
Pour moi aujourd’hui un des plats les plus aboutis de notre carte c’est l’agneau (Agneau- Céleri- Kumquat, cf photo de la carte ci-dessus). On a un beau travail sur la selle avec une belle cuisson, le mille-feuille d’épaule est super, la côte est bien rôtie. C’est déjà très bien mais on pourrait pousser encore plus loin. Et c’est un travail qui doit venir de moi, je dois prendre plus de temps pour me poser, faire des recherches, des essais. Il y a matière à évoluer tout le temps, et tant mieux !
Quand on regarde tous ces chefs (il fait référence aux chefs du festival 'Ominivore' d'où il revient) on se demande quelle vie ils ont !
La vôtre est déjà bien remplie il me semble...
Je fais des sacrifices mais je ne m’en rends pas compte. Je pense que ce sont plutôt mes proches qui font des sacrifices : la famille, les amis voient que tu t’éclates, mais ils connaissent la décision que tu as prise, et ils savent que tu as un train de vie différent. C’est un choix de vie, il faut jongler !
En général comment vous vient l’idée d’un plat, dans quelles circonstances ?
Il faut connaitre les goûts, les avoir en tête, comme un sommelier. Quand on a la mémoire des goûts on peut combiner. Après j’amène des cuissons, des taillages, des techniques, des assaisonnements. Et ensuite j'amène de nouveaux goûts. Je n’avais jamais travaillé le kumquat dans un plat par exemple.
Quand c’est un produit que je ne connais pas, c’est face à lui que je construis mon plat. Un nouveau produit fait tout de même référence à des goûts qu'on connait, et après on conjugue.
Parfois, ça vient du fournisseur. Hier le boucher m’a envoyé un message pour me dire qu’il avait pour moi de très bons carrés de veau donc j'ai réfléchi à la saison dans laquelle on est et aux produits dont je dispose.
Ça part donc d’une feuille blanche où je marque le premier produit que j’ai envie de travailler.
A la carte en ce moment on a 'Asperge verte- Lard- Echalote'. Comment j’en suis venu là ? J’ai eu de l’asperge verte et j’ai voulu la faire froide même si on est en hiver, car je veux de la fraîcheur même en hiver. L’échalote : parce qu’on en a une très bonne dans la région ! Et le lard parce que j’adore le cochon et que j’ai envie de m’éclater avec !
Il n’y a quasiment aucun des plats à la carte actuelle que j’aie déjà travaillé avant. Et il y a des plats que j’aurais envie de retravailler plus tard comme Saint-Jacques- Chou-fleur- Noisette. Je maîtrise et je sais que les goûts fonctionnent très bien ensemble et j’aurais envie de le perfectionner.
Quels grands chefs admirez-vous?
Thierry Marx, Bras, Marcon. Et Gagnaire. Je me suis rendu compte, sans prétention aucune, que je cuisine un peu à la Gagnaire. Le chef arrive, il sait pas trop ce qu’il a envie de faire, les produits sont là, ils sont bons, et il va jouer avec. Gagnaire c’est la libre-expression, le feeling !
C’est pour ça qu’on s’éclate à Top Chef dans une épreuve de la dernière chance : on nous dit ‘t’as un produit, va dans le garde-manger’. Au resto c’est pareil : j’achète des produits, j’ai un garde-manger, une épicerie, un économat et voilà ! A la maison on n’a pas tout ça !
Quelles spécialités du Nord vous plaisent le plus ?
Le Pot’je’vleesh, j’aime bien ! Le welsh euh moyen…
Et en sucré ?
Une gaufre fourrée à la cassonade ça reste toujours très très bon ! La cassonade d’ailleurs c’est un produit qui a toujours été à la maison depuis ma plus jeune enfance : le paquet jaune avec la tête de l’enfant (sucre roux de la marque ‘Graeffe’) !
Une tarte au chuqu’ aussi, même si c’est pas ce qu’il y a de plus light !
Et dans une pâtisserie vous choisissez quoi ?
Un mille-feuille ! (du tac au tac) Un mille-feuille ouais, ou un flan... Mais j’ai du mal à trouver de bons flans. Quand je travaillais à La Laiterie je passais toujours à vélo ou à pied devant une boulangerie qui en faisait de très bons à Lambersart et j’en achetais souvent.
Vous avez un pêcher mignon industriel ?
La pâte à tartiner. C’est un trop gros pêcher mignon ! Quand je fais une petite sieste après le service du midi, je me lève souvent au moment où les enfants goûtent pour les accompagner… Eh ouais, j’aime beaucoup cette grosse merde !
On est tombé dans cette génération là. C’est un goût d’enfance qu’on a et d’ailleurs les pâtissiers maintenant ils font tous ça: ils essaient de chercher le goût de l’enfance qu’on veut retrouver.
Et les livres de cuisine, vous aimez ça ?
Ouais, j’en ai la bombe ! Mais on en revient au même problème : j’ai plein de livres mais j’ai pas le temps de lire. J’adore lire, j’adore écrire, j'adore la langue française, et dessiner aussi mais j’ai plus le temps. Mes livres m’attendent à la cave !
Un livre en particulier à conseiller ?
Celui que j’ai le plus lu c’est La Cuisine de Référence (Editions BPI) et je le lis encore de temps en temps. Quand je partais en vacances c’était sans les parents. Ils me mettaient dans le train, et c’était toujours le même rituel : je feuilletais La Cuisine de Référence.
Pour évoluer dans la cuisine, je sais que le fait de ne pas lire suffisamment me fait passer à côté de beaucoup de choses.
Je commence à lever le pied au niveau de la cuisine, là ça commence à bien se mettre en place. Je vais pouvoir commencer à me décaler, à faire d’autres choses et 'pousser' les recettes.
Il y a un truc avec lequel j’ai du mal, c’est quand on nous parle d’histoire dans les plats, ça j’arrive pas à comprendre. Est-ce que moi je ne raconte pas d’histoire dans mes plats du fait de ma ‘non culture’ bouffe quand j’étais gamin ? J’en sais rien... Est-ce que les chefs qui disent ça c’est du mytho ? J’en sais rien... On a déjà eu ça comme critique au resto : ‘J’ai pas compris l’histoire’ ??!!
Je n’imagine pas qu’un chef qui met au point 5000 recettes sur 30 ans de carrière il ait 5000 histoires à raconter ! Sinon il est écrivain, il est pas cuisinier !
Comment vous décririez votre cuisine au Rouge Barre ?
C’est franc, sincère, assez dynamique, de saison forcément, et ça triche pas. C’est parfois interrogatif dans le sens où on essaie de toujours mettre un petit truc qui questionne.
Ici on a un bel outil de travail qui peut vraiment évoluer. Un agent immobilier dirait: 'Il y a du potentiel !' et ce qui est bien c'est que le potentiel il est dans le lieu mais aussi dans l'équipe !
Est-ce que vous êtes du genre à partager vos recettes ou à les garder secrètes ?
Ah non, je les partage ! Je n'en ai pas beaucoup, mais je les partage !
Vous en avez une à partager avec 3 ou 4 ingrédients maximum ?
Oui, une entrée que j’ai déjà faite : Langoustine, petit pois et pomélos. Un tartare de langoustine dans le fond de l’assiette dans un emporte-pièce, au dessus une purée de petits pois. A côté une langoustine juste poêlée, des segments de pomélos et un crémeux de petits pois qu’on vient couler dessus.
Avez-vous un plat ‘signature’ ?
Plutôt des produits que j’adore travailler, que je maîtrise assez bien et qui reviennent : par exemple le pigeon, le maquereau. Pour le maquereau on nous a souvent complimentés sur son moelleux et son goût pas trop fort. Déjà chez nous il est top fraîcheur, et on verse le bouillon chaud dessus jusqu’à refroidissement pour qu’il reste hyper moelleux.
Je n’aime pas les abats… que me cuisinez-vous et comment pour que je les apprécie enfin !?
Je te fais des ris de veau en petits morceaux, sautés avec un peu de crème ou alors je te les fais bien croustillants parce que souvent ce qui gêne ceux qui n’aiment pas les abats ce sont les textures et du coup il faut réussir à masquer cette texture sans dénigrer le produit. Je mettrais un petit morceau de ris de veau dans une chapelure, bien rissolé : je pense que ça peut passer !
Sinon je peux te faire une terrine de pied de cochon, froide, assaisonnée avec échalotes, herbes, un peu de moutarde. Je taille des tranches hyper fines, de l’épaisseur d’une feuille, et je te la mets sur un toast encore tiède: logiquement ça passe ! Ça c’est des défis que j’adore relever ! C’est la force du cuisinier et de ses expériences. Il faut faire une cuisine qu’on aime, c’est vrai, mais aussi que les clients vont aimer !
Mais parfois il faut aussi faire l’effort de cuisiner ce qu’on aime moins. J’aime presque tout, mais je cuisine très peu de gibier parce que c’est pas ce qui m’excite le plus. Mais on va peut être en mettre à la carte d’ici quelques mois parce que c’est hyper intéressant à travailler aussi. Il faudra réussir à le faire accepter.
Est-ce que vous cuisinez en musique ?
Presque toujours. Ça dépend de l’humeur. Mes goûts musicaux sont assez larges mais pour cuisiner j’aime bien la musique plutôt douce, à paroles, parce que j’ai pas envie d’être agressé à ce moment-là. Comme Elton John par exemple. J’ai un père musicien, il y a toujours eu de la musique à la maison !
Que dites-vous aux débutants qui veulent faire de la cuisine leur métier ?
On peut sortir le discours habituel, que c’est un métier compliqué, qu’il faut faire plein de sacrifices etc, etc...
Mais je dirais aussi que c’est un des rares métiers sans fin : on apprend toujours, on sera jamais le meilleur, il y aura toujours de nouveaux produits, de nouvelles associations, les saisons changeront, les goûts changeront...
Claire B - Poivre & Zeste
Le restaurant Rouge Barre est ouvert midis et soirs du mardi au samedi. Pour plus d'informations sur la carte, les menus et les modalités de réservation, cliquez ici